Peine de mort et stupéfiants : les parlementaires En Marche décidés à fermer les yeux ?

Juin 5, 2020 | Actualité juridique, Communiqué | 0 commentaires

EN BREF La France a ratifié un traité de coopération internationale avec l’Inde débattu ce vendredi 5 juin au Sénat après un vote unanime de l’Assemblée Nationale. L630 attire l’attention des parlementaires sur la gravité d’une telle proposition et les invite à refuser un texte qui remet en cause les droits et libertés fondamentales.


Peine de mort et stupéfiants : les parlementaires En Marche décidés à fermer les yeux ? C’est la question qui est posée après le vote à l’Assemblée Nationale, le 2 juin dernier dans l’indifférence générale, d’un projet de loi autorisant l’approbation d’un accord de coopération internationale entre la France et l’Inde en matière de trafic de stupéfiants.

Alors que l’échec de la prohibition pour prévenir l’abus des stupéfiants devient chaque jour plus évident, incitant un nombre croissant de pays à légaliser pour encadrer la production et la consommation de ces produits, la France s’obstine à accumuler les textes toujours plus répressifs. À ce titre, depuis plusieurs années, elle associe aux négociations commerciales internationales un volet renforçant la coopération en matière de lutte contre les stupéfiants. C’est dans ce cadre que s’inscrit le projet de loi que nous évoquons ici.

Le texte vise à favoriser la coopération entre les services répressifs français et ceux de l’Inde, y compris la coopération « opérationnelle » dans certaines affaires, en matière d’infractions à la législation sur les stupéfiants. Le texte est particulièrement large. Il couvre non seulement la lutte contre toutes les formes de trafic, mais aussi la lutte contre la consommation illicite de stupéfiants. Un vague engagement non contraignant à inclure une réflexion sur la prévention et la pédagogie pour prévenir les addictions sert de verni médico-social à cet accord très répressif.

Or la législation indienne en matière de stupéfiants heurte radicalement les droits fondamentaux reconnus dans les sociétés démocratiques européennes. D’abord, la présomption d’innocence est écartée au profit d’une présomption de culpabilité[1]. C’est au suspect de démontrer qu’il n’a pas commis l’infraction dont on l’accuse[2]. Ensuite, et c’est plus grave encore, la peine de mort peut être prononcée pour sanctionner certaines infractions[3].

Les risques d’atteintes majeures aux droits de l’homme et aux libertés individuelles sont considérables d’autant qu’avec l’extension du fichier des systèmes de contrôle automatisés par l’arrêté du 14 avril 2020, les autorités indiennes pourront avoir accès pendant 10 ans aux infractions commises en France pour usage de stupéfiants qui auront donné lieu à amende forfaitaire délictuelle[4].

Pour toute réponse, les autorités françaises se sont contentées de minorer ces risques dans des termes inacceptables. Ainsi la députée Valérie Thomas, rapporteure de la loi autorisant la ratification du texte a-t-elle déclaré :

« L’article 31A du Narcotic Drugs and Psychotropic Substances Act (1985) prévoit la possibilité de condamner à mort une personne pour trafic de stupéfiants. Cependant, cet article a fait l’objet d’un amendement en 2014, rendant la peine de mort optionnelle. En outre, depuis 2004, seules trois condamnations à mort ont été exécutées et, à chaque fois, dans des affaires de terrorisme. En 2012, un Indien a été condamné à mort dans le cadre d’une récidive de trafic de stupéfiants, mais son exécution n’a pas encore eu lieu.

Il est important de noter qu’au début de l’année 2020, aucun ressortissant français n’était détenu en Inde pour infraction à la législation indienne sur les stupéfiants »[5].

Est-ce que le fait que des informations relatives à des usagers de stupéfiants condamnés en France à une amende forfaitaire délictuelle puissent, pendant 10 ans, être transmises aux forces de police indiennes pour fonder des poursuites en Inde en violation de la présomption d’innocence ne mérite même pas d’être relevé ?

Est-ce que le fait que les services de police français puissent transmettre des informations à leurs homologues indiens qui pourraient fonder une condamnation à la peine de mort et même son exécution ne devrait pas nous préoccuper parce que jusqu’à présent aucun ressortissant français n’a été condamné ?

Les droits de l’homme sont des principes qui ne doivent pas dépendre de la nationalité des citoyens.

Nous appelons le président de la République et le gouvernement à retirer ce projet de loi de la discussion parlementaire et, à défaut, nous appelons les sénateurs qui en sont saisis à refuser de souscrire à cette atteinte inacceptable aux valeurs les plus fondamentales de notre République.

Yann Bisiou, Président de L630 et Maître de conférences en droit privé et sciences criminelles – Université Paul Valéry Montpellier 3, CORHIS EA 7400


[1] Art. 54 Narcotic Drugs and Psychotropic Substances Act, Act n°61 of 1985, 16th sept. 1985 : “Presumption from possession of illicit articles. In trials under this Act, it may be presumed, unless and until the contrary is proved, that the accused has committed an offence under Chapter IV in respect of… (a) any narcotic drug or psychotropic substance”.

[2] Shweta S, Kapil K, Gyanendra S. An Overview on Narcotic Drugs and Psychotropic Substances Act, 1985. J Forensic Sci & Criminal Inves. 2017; 4(3): 555644, p.3.

[3] La peine de mort qui était obligatoire a été rendue facultative par l’article 15 du Narcotic drugs and pyschotropic substances Act de 2015 : « In section 31A of the principal Act, in sub-section (1), for the words “shall be punishable with death”, the words and figures “shall be punished with punishment which shall not be less than the punishment specified in section 31 or with death” shall be substituted ».

[4] Bisiou Y., AJ Pénal, mai 2020, p. 232.

[5] Ass. Nat., rapport n°2738, 4 mars 2020, p. 7 et 8.

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