Baclofène : Chronique d’une semaine mouvementée

Juin 18, 2020 | Actualité juridique | 0 commentaires

La lutte contre l’addiction à l’alcool est, de tous les sujets relatifs aux politiques publiques des drogues, celui qui requiert de la part des autorités le plus de rigueur. En France, l’alcool constitue l’une des premières causes de mortalité chaque année et reste une problématique majeure de santé publique. La question du baclofène est donc essentielle.

L’éternel mirage du baclofène

C’est pourquoi, de nombreux laboratoires s’engagent. Depuis des années, ils financent la recherche pour mettre au point des traitements médicamenteux permettant de lutter contre les addictions à l’alcool.

Au début des années 1990, le baclofène, un myorelaxant autorisé depuis 1975 démontre des premiers signes d’efficacité. Après plusieurs essais – et une importante controverse scientifique, la molécule a obtenu une recommandation temporaire d’utilisation (RTU) en 2014. Elle permettait que des spécialités à base de baclofène soient autorisées en attendant que les autorités statuent sur le produit. C’est la mobilisation des associations de patients et de nombreux intervenants du domaine de l’addiction qui a permis cette RTU.

Toutefois, elle ne garantit pas la commercialisation du médicament sur le long terme. Elle n’est qu’une soupape. Dès lors qu’une autorisation de mise sur le marché (AMM) est obtenue pour le médicament ou l’un de ses équivalents, elle est immédiatement arrêtée (loi n°2014-892 du 8 août 2014 – art. 10).

Lorsque Baclocur, le médicament d’Etypharm a reçu son AMM et que sa commercialisation a débuté ce lundi 15 juin, Baclohelp s’est pourvu devant le juge administratif pour demander une suspension de la commercialisation. La posologie maximum de prescription était en cause : l’association la jugeait trop basse (80 mg en lieu et place des 300 mg que certains patients requièrent).

Deux situations étaient alors possibles :

  • Ou bien maintenir le statut quo de la RTU qui permettait de bénéficier de prescriptions pouvant aller jusqu’à 300 mg/jour,
  • Ou bien consentir à une commercialisation grand public avec une limite de 80 mg/jour quotidienne.

L’association de patients a préféré la première la solution. Elle a donc déposé un référé-suspension.

L’autorisation de mise sur le marché suspendue

Dans une requête déposée devant le Tribunal Administratif (TA) de Cergy-Pontoise le 28 mai et complétée par des mémoires complémentaires déposés les 8 et 10 juin 2020, l’association Baclohelp et plusieurs requérants demandent la suspension de l’Autorisation de mise sur le marché du Baclocur.

Ils fondent leur demande sur plusieurs moyens : la limitation à 80mg/jour n’est pas fondée dès lors qu’elle créé une situation d’inégalité entre les patients, elle est illégale au regard de l’absence de fondement scientifique, l’ANSM n’est pas compétente pour procéder à une telle restriction ; l’AMM, dans la même logique, ne peut selon eux restreindre la posologie du médicament sur ce fondement, elle est dès lors entachée d’une erreur manifeste.

Sur le fond, le tribunal s’interroge sur le bien-fondé de l’autorisation de la mise sur le marché (AMM). Avis du Comité Scientifique Spécialisé Temporaire (CSST) et de la Commission mixte ad hoc à l’appui, complétés par les avis de la Haute Autorisé de Santé, le juge administratif établit qu’en « l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité des décisions contestées » est né. Que dès lors, le doute sérieux justifie la suspension de l’AMM du baclofène.

Le caractère relatif du référé-suspension

Le référé-suspension n’est pas un recours sur le fond du dossier. Il s’agit pour le juge de réagir rapidement face à une situation urgente et pour laquelle il y a une erreur manifeste qui ne peut perdurer. L’office du juge unique en matière de référé est donc relatif et répond à une problématique d’urgence.

La décision telle que fixée répond aux inquiétudes légitimes des associations de patients. Le juge administratif est ici le vecteur du flou dans lequel se dirigeait le baclofène depuis l’AMM obtenu en octobre 2018. Tranchant dans le vif, il renvoie les parties à leurs responsabilités : qu’il s’agisse de l’ANSM, du laboratoire ou des patients-experts fortement mobilisés sur la question.

Seulement, cette décision est dangereuse. Elle l’est d’abord parce que le juge administratif place l’avis du CST et du comité ad hoc au même niveau que la décision et le processus de l’AMM.  Si les avis défavorables continuent de poursuivre la gestion calamiteuse de ce dossier, on imaginait mal qu’ils puissent contre-balancer la légitimité de l’AMM.

Surtout, cela place l’ANSM et le laboratoire dans une situation confuse. L’autorisation de commercialisation ne pouvait être concédée qu’à la condition d’une posologie à 80mg/jour ; au-delà, l’ANSM ouvrait aussi la voie à une possible contestation du fait d’un rapport bénéfices/risques désavantageux, relativement à l’étude publiée notamment par l’INSERM et la sécurité sociale.

Les patients, premières victimes d’un timing serré

En exigeant la suspension de l’AMM, l’association a eu raison de demander le rétablissement de la RTU. Pour combien de temps ? L’ANSM a décidé de se pourvoir en cassation devant cette décision et surtout, la RTU se conclut en juillet. L’Agence est d’ailleurs fondée à refuser le renouvellement mais comment peut-elle le justifier désormais que l’AMM est suspendue ?

La situation est délicate. Le laboratoire avait parié sur une communication grand public et élargie. Elle lui est renvoyée en pleine figure puisque la majorité des journalistes qui ont évoqué la première annonce ont été contraints de publier des articles annonçant la suspension. Résultat : Le retournement de situation juridique provoque une gabegie médiatique, au grand dam de la molécule. Les prescripteurs seront de fait démotivés, l’information relative à l’accessibilité du produit reste pour les patients finalement floue.

Le recours en référé-suspension est une prise de risque. L’association aurait pu proposer un recours « mesures-utiles » (article 521-3 du code de justice administrative). Cela aurait eu pour effet de demander que cohabitent AMM et RTU le temps qu’une éventuelle modification intervienne. L’ANSM ne pouvait pas répondre aux exigences légitimes de l’association Baclohelp, le juge administratif lui le pouvait. Il n’en sera rien.

Le recours ne tient pas non plus compte de l’AMM de décembre 2018 pour les comprimés en 30 mg. Autrement dit, il réclame la suspension de l’AMM pour Baclocur 10, 20 et 40 mais pas en 30. L’ANSM est fondée à maintenir l’AMM en 30. 

En conclusion

Cette décision de justice ne contente personne. Elle ne permet qu’une chose : Elle démontre le rôle essentiel des patients et rappelle aux autorités de santé ainsi qu’aux laboratoires à quel point ces questions qui peuvent apparaître comme théoriques sont en réalité essentielles. 

Seulement, elle vient ajouter un épisode de controverse juridique et médiatique à un dossier qui n’en n’avait pas besoin, ouvre la voie à un pouvoir illimité du juge administratif en matière d’AMM et créé une situation de tension sur l’accessibilité du produit. Affaire à suivre !

Chiffres clés sur la consommation d’alcool en France métropolitaine 

  • 23,6% des personnes de 18-75 ans dépassaient les repères de consommation en 2017
  • 11,7 litres par an et par personne de 15 ans et plus
  • 41 000 décès attribuables à l’alcool par an, dont 30 000 chez les hommes et 11 000 chez les femmes
  • 16 000 décès par cancer et 9 900 décès par maladie cardiovasculaire chaque année
  • 87% des 18-75 ans consomment de l’alcool au moins une fois par an
  • 26% des 65-75 ans déclarent une consommation quotidienne d’alcool
  • 13,4% des 18-24 ans déclarent au moins 10 ivresses par an
  • 10% des 18-75 ans consomment à eux seuls 58% de l’alcool consommé

Source : Santé Publique France

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